Je prends l’exemple de ce petit entrepreneur qui veut vendre des fraises sur le marché local de sa ville. Pour cela, la veille du jour de marché, il fait un aller-retour jusqu’au marché de gros et y achète 100 kg de fraises à 2 €.
Ces fraises lui auront coûté 200 €, plus 20 € de carburant.
Sur le marché, il revend ses fraises au détail, à 4 € le kg. Il arrive à vendre 80 kg de fraises. Le reste est perdu car abîmé, ou distribué pour attirer les passants et leur faire goûter. Au final, il empoche 320 € pour la vente de ses fraises.
Je crois qu’on peut considérer ici qu’il a fait un bénéfice de 100 €. Et je crois aussi que ces 100 € correspondent à la valeur ajoutée que cet entrepreneur a créé. (Au sens du « making money » américain.)
Comment cette valeur ajoutée est-elle apportée par l’entrepreneur ? D’une part il accepte de vendre des fraises en petites quantités, ce que ne fait pas le grossiste qui vend par palette entière. D’autre part, l’entrepreneur apporte des fraises au plus près des gens qui souhaitaient en consommer, sur le marché local. Par ces deux services qu’il apporte, il ajoute de la valeur, de la richesse.
Maintenant, imaginons que cet entrepreneur tombe malade pendant la nuit. Il a acheté les fraises, mais ne peut pas aller les vendre. Pour ne pas perdre tout son investissement (l’aller-retour plus l’achat des fraises), c’est sa femme qui va aller les vendre sur le marché.
Le bénéfice et la valeur ajoutée resteront les mêmes, j’imagine, puisque les comptes du couple sont communs.
Ensuite, imaginons que ce soit la fille de l’entrepreneur qui aille vendre les fraises au marché. Son gentil papa la gratifie d’une partie de la caisse pour l’aide qu’elle lui a apporté.
– L’argent que gagnera sa fille doit bien évidemment être déduit du bénéfice de l’entrepreneur. Mais est-ce que cette gratification doit être retirée de la valeur ajoutée ?
– Et si c’est le petit ami de sa fille qui va faire la vente ?
Dans un cas, l’argent reste dans la famille, dans le foyer, pas dans l’autre.
Après, imaginons que ce soit une connaissance de cet entrepreneur qui aille vendre les fraises au marché. Il ira volontiers faire ce travail contre un peu d’argent, par contrat oral et paiement cash : disons 50 € au black. À nouveau cet argent vient en déduction du bénéfice que fait notre entrepreneur. Mais …
– est-ce que l’argent que l’entrepreneur donne au vendeur est déduit de la valeur ajoutée ?
Enfin, si le vendeur est engagé avec un contrat écrit, 40 € de salaire net et 40 € de charges, soit un coût total pour notre entrepreneur de 80 €.
– Le bénéfice n’est plus que de 20 €, mais est-ce que la valeur ajoutée est toujours de 100 € ?
Autant dans premier cas où notre petit entrepreneur fait tout, il a gagné 100, et il semble évident que la valeur ajoutée est de 100.
Autant dans le dernier cas, notre entrepreneur ne gagne plus 100, mais 20. Mais de combien est la valeur ajoutée ? 100 ou 20 ? Doit-on retrancher les salaires que l’entrepreneur a versé à ses employés de la valeur ajoutée ?
Si dans ce dernier cas la valeur ajoutée n’est pas de 100, j’ai une question à laquelle je ne sais pas répondre. Comme dans le premier cas, l’entrepreneur qui fait tout tout seul, la valeur ajoutée est de 100. Si on considère en séquence les différentes personnes qui ont pu l’aider à faire la vente des fraises, à savoir :
- l’entrepreneur,
- sa femme,
- sa fille,
- le petit ami de sa fille,
- une connaissance,
- un employé sous contrat écrit.
À partir de quelle étape, à partir de quelle personne faisant la vente, est-ce que l’argent donné au vendeur doit être soustrait de la valeur ajoutée ?
Il me semble que considéré globalement, la valeur ajoutée est toujours la même, à savoir 100. En effet, le public du marché a acheté volontairement les fraises. Tous les gens qui en ont acheté ont donné cette valeur de 320 € aux fraises, grâce au travail de l’entrepreneur et du vendeur (qui que ce soit).
La veille, sur le marché de gros, les fraises avaient une valeur plus faible : l’entrepreneur les a payées 200 € (plus 20 € de frais de transport). C’est le travail de l’entrepreneur et du vendeur qui ont ajouté de la valeur à ces fraises.
Il me semble que la réponse à la question ci-dessus réside dans le choix des personnes que l’on considère pour calculer la valeur ajoutée.
Ainsi, dans le cas où l’entrepreneur fait tout, la valeur ajoutée est de 100€.
Par contre, dans le cas où c’est une connaissance à lui qui vend les fraises, la valeur ajoutée créée par l’entrepreneur seul sera de 50 € seulement (il faut retirer les 50 € de salaire qu’il donne au vendeur). Mais ce vendeur, lui, sans aucune dépense aura gagné 50 €, et il aura donc créé de la valeur pour 50 €. La valeur ajoutée totale est encore de 100 €.
Pour finir, si l’on considère l’ensemble des gens qui ont travaillé, au total, la valeur ajoutée reste toujours la même, 100 €. Ainsi, d’un point de vue pratique, est ce que le fait de considérer les salaires versés par une entreprise comme de la valeur ajoutée ne permet pas de simplifier le calcul en évitant de calculer les valeurs ajoutées de chaque employé ?